Entre 1996 et 2008, j'ai joué dans un groupe, et nous avons fait environ 200 concerts dans la région.Suis très d'accord.
Ce sont des outils pour placer les sons entre eux.
Pour éviter qu'ils se bouffent l'un l'autre et que ce soit le chaos.
Tu mets un ingé son aux manettes de l'europe et hop,c'est peace,ca passe tout en douceur et harmoniseur.
En plus des bars, pubs, petites salles, nous avons fait quelques grandes scènes, et deux enregistrements dans des studios professionnels quoique locaux.
Nous nous sommes donc frottés, parfois durement, à toutes sortes d'ingés-son et à toutes sortes de post-traitements.
Il ressort de notre expérience, dans l'immense majorité des cas, que le technicien, pour effectivement contraindre les sons à cohabiter entre eux, taille sauvagement dans les fréquences et élimine tout ce qui interfère. L'opération est généralement réalisée sans nuance et sans égard pour le caractère sonore original des instruments, et si effectivement au final l'ensemble est constitué de fréquences clairement rangées de manière équilibrée sur l'étendue du spectre, la musique en prend un sale coup, les instruments sont plus ou moins méconnaissables, et l'ensemble sonne singulièrement plat et creux, ou au mieux "radiophonique" selon la mode passagère du moment.Tu mets un ingé son aux manettes de l'europe et hop,c'est peace,ca passe tout en douceur et harmoniseur.
Un grand classique était le traitement infligé à l'alto de la violoniste, qu'elle chérit justement pour la magnifique chaleur du son qu'il procure, et qui se retrouvait sonner grosso modo comme une guitare électrique.
Je vous raconte pas les prises de tête et engueulades lors des balances, les scandales (on ne touche pas à l'égo de ces grands seigneurs, 's'pas...), et par conséquent les basses vengeances au moment du concert...
Donc premièrement, "peace", certainement pas.
Deuxièmement, il nous est arrivé quelques rares fois d'être sonorisés correctement sur des grosses scènes. Donc c'est possible: Nous reconnaissions notre son, notre univers, et finalement, contrairement à toutes les autres occasions citées ci-dessus, notre intention artistique.
L'intention artistique est quelque chose (de primordial) qui prend forme au moment de la composition, que ce soit seul ou en groupe, que ce soit savamment composé ou improvisé.
C'est et CE DOIT ETRE la référence.
Quand on demandait au type "merde, Secco, mais comment tu fais pour faire marcher ensemble tout ce fourbi, sans larsen (nous utilisions pas mal d'instruments acoustiques, des micros chant, etc...), et en respectant à ce point la sonorité de chaque source?", il répondait en rigolant: "tu vois la malette où je range mes micros (il en rentrait 8 dedans)? Avec ce qu'il y a là-dedans, tu payes ta maison". Ensuite il montrait la console, et disait qu'on pouvait se l'offrir avec le prix de 4 ou 5 maisons.
Premièrement.
Deuxièmement, il était intraitable sur le PLACEMENT de chaque micro, qu'il disposait lui-même au quart-de-poil. Place, direction, hauteur.
Là intervient une véritable science, dont les clampins cités plus haut se trouvaient bien évidemment dépourvus.
Troisièmement (et peut-être principalement?), le Monsieur travaillait à l'oreille. Avant de toucher ses manettes, il écoutait soigneusement la REFERENCE, c'est-à-dire le son d'ensemble quand nous étions placés et accordés, et se trouvait capable (on peut trouver que c'est le minimum syndical, mais la triste vérité est que la plupart des clowns auto-proclamés ingés-son sont dépourvus de cette rare faculté) de GOÛTER l'ambiance, l'harmonie, l'intention se dégageant d'un ensemble de sons, et donc de la restituer.
Au résultat: Son authentique ET techniquement parfait dans la salle comme dans les retours (condition indispensable, mais malheureusement rarement réalisée, pour jouer correctement).
De ce que je raconte plus haut, il ressort que cette condition n'est que l'une de celles qui permettent à un mix de tenir.Pour éviter qu'ils se bouffent l'un l'autre et que ce soit le chaos.
Et certainement pas la principale, car je ne vois pas pourquoi décréter que les sons devraient forcément être séparées dans le spectre.
Pour moi il s'agit là d'une considération purement esthétique, et ce diktat simpliste fait fi des cas où justement les fréquences, en se superposant, entrent en résonance, en synergie, et composent quelque chose qui dépasse la simple somme des sons impliqués, tissant une sorte de poésie.
Si ceux qui lisent s'occupent peu ou prou de musique, ils voient certainement de quoi je parle ici.
Ce genre d'effet, qui survient souvent accidentellement au moment de la composition d'un morceau, mais qui est parfaitement reproductible quand on a soigneusement noté ses réglages et qu'on se replace dans les mêmes conditions, détermine souvent l'originalité poétique d'un morceau. C'est un élément essentiel. L'ingé-son doit se trouver en mesure de dépasser la vision simplette de sons obligatoirement séparés, et de restituer, par les moyens qui lui appartiennent, cet effet momentané.
Lorsque, comme pour notre cas ici à tous, l'ingé-son se trouve être celui-là même qui a composé et qui joue, l'essentiel du travail de "mixage" se joue donc au moment de la composition: Choix des sons, des ondes de base, positionnement soigneux des filtres (outil extrêmement puissant qu'offrent nos synthés soustractifs pour la spacialisation et l'expression), ajustement de la dynamique (Enveloppes), et bien évidemment, choix des instruments impliqués, qui ont tous leur "signature" particulière.
D'une manière générale, pour terminer sur ce chapitre de "l'harmonie et du chaos", la meilleure façon d'assurer l'harmonie n'est certainement pas de sabrer dans les parties qui la composent et de les vider de toute identité. Techniquement ça marche, mais ce que l'on crée ressemble davantage au rayonnage d'un supermarché qu'à la douce complexité de l'harmonie naturelle.
Et pour reprendre ta métaphore, on a vu ce que cette idée a pu donner appliquée au corps social dans les dictatures totalitaires. Echec sanglant dans les débuts, et pour finir, échec tout simplement technique: On peut forcer temporairement à fonctionner "fonctionnellement parlant" un truc voué à ne pas fonctionner. Mais il y a un moment où il faut passer à la caisse.
Ces outils, comme je le disais plus haut, nos synthés en sont déjà très largement pourvus.Ce sont des outils pour placer les sons entre eux.
Il m'est arrivé de montrer comment, dans certaines conditions, des sons non-traités peuvent interférer ensemble de manière à créer l'illusion psycho-acoustique d'un placement dans un espace fictif (haut/bas, devant/derrière). Domaine, il est vrai très étrange, très fuyant, dépendant de conditions très précises et très fines... Souvent accidentelles, mais le talent d'un musicien ne consiste-t-il pas essentiellement à surfer sur la crête de la vague, réagissant en temps réel aux transformations incessantes d'un environnement quasi-vivant?
Pour moi l'essentiel du travail de mixage se réalise au moment de la composition.
C'est à ce prix que l'on est cohérent avec le choix des instruments, et avec la valeur particulière qu'on leur accorde.
Sinon, si l'essentiel se règle en tournant la manivelle de la Moulinette Magique, autant tout faire sur l'ordi de A à Z.