skawiwen a écrit :j'ai des doutes sur cette version , de tout temps , une innovation fut considérée et rejetée par le public comme n'entrant dans nos confortables habitudes d'écoutes

Dans un sens, tu as raison de douter : du point de vue du public, l'accueil de la première au Théâtre des Champs-Élysées à l'époque été très "scindé" avec d'une part ceux qui ont crié tout de suite au génie et d'autre part ceux, plus nombreux à l'époque, qui ont hurlé au scandale et qui ont sifflé la représentation avant de quitter la salle en cours de spectacle. Il y aurait même eu des bagarres entre spectateurs... Mais d'après le commentaire de J-F Zygel lors de cette émission (
https://www.france.tv/france-5/les-clef ... temps.html), c'était effectivement l'objectif totalement délibéré de la part de l'organisateur de ce spectacle. Et c'est surtout un événement qui a fortement participé à faire connaître ce nouveau théâtre récemment inauguré. Bizness bizness...
En plus de cette composition très particulière de Stravinsky, la chorégraphie très inhabituelle de Nijinski elle aussi a fait partie du scandale lors de cette représentation.

Ce qui choque pousse le public à réagir, et l'expression artistique est depuis des siècles l'un des meilleurs vecteurs pour exciter ce genre de réaction, peut-être plus encore dans l'art contemporain (mais pas que...).
C'est d'ailleurs sa fonction première, d'un certain point de vue : susciter chez le spectateur des sentiments et des émotions, quels qu'ils soient.
Avec les Russes en cette période en France, il y avait également un fort contenu politique qui est venu interférer à divers niveaux dans les œuvres artistiques présentées au public. N'oublions pas non plus que la révolution de 1917 était proche...
Donc on peut effectivement avoir beaucoup de raisons de soupçonner une instrumentalisation de la création artistique dans ces conditions...
Personnellement, j'ai mis très longtemps à apprécier ce
Sacre, en tant que jeune auditeur et apprenti pianiste. Tu as beau dire qu'il n'a rien de chaotique, quand on a l'oreille formée depuis assez longtemps aux douces harmonies de Mozart ou Beethoven, les énormes dissonances et les sauvages déconstructions rythmiques soigneusement entretenues de ce morceau viennent quand même un peu râper le tympan, et il faut faire un effort analytique d'abstraction à l'écoute pour en décrypter les éléments qui en font la structure, au contraire des compositions classiques qu'on pourrait presque faire passer pour du "
easy listening" en comparaison... Je sais, j'exagère un peu, comme d'hab' !
Tiens d'ailleurs, puisque tu cites Pierre Boulez, c'est très justement sa direction d'orchestre que j'ai choisie en exemple pour mon illustration Youtube. Et ce n'est absolument pas par hasard, tu t'en doutes !
C'est donc beaucoup plus tard, des décennies en fait, en tant qu'
auditeur aguerri et nouvellement attentif aux compositions des Ravel, Debussy et quelques autres, et surtout plus mûr, que j'ai vraiment commencé à prendre conscience de la structure de ce morceau et que j'ai entrevu en partie comment il avait pu être aussi génialement construit. Mais j'avoue humblement que l'émission de Zygel m'a été particulièrement utile pour m'expliciter encore mieux d'autres contenus que je n'avais pas encore su découvrir par moi-même, et je me suis absolument régalé à la suivre.
la nature sait faire du pur chaos , les humains jamais.

...Ah, les plaisirs pervers du mouvement Brownien, ou, comment les observations d'un botaniste anglais viennent donner matière aux réflexions les plus poussées de brillants mathématiciens et physiciens pendant plus de deux siècles (...et pas des moindres : Wiener, Einstein, Perrin, Fourier, Langevin, etc) !

Mise à part en guise d'exemple, cette
amusante petite modélisation, il y a eu également des recherches approfondies autour des décimales de Π (PI), du bruit blanc, et un bon nombre d'autres avec plus ou moins de succès et de réalisme. Quant aux logiciels, ils ne sont que les reflets de ce que les humains peuvent faire avec des modèles mathématiques préexistants, coincés par les limites des technologies de calcul de leurs machines.
En revanche, je pense sincèrement que les humains sont capables depuis longtemps de produire technologiquement du chaos, mais pas encore de bien savoir le maîtriser !
